En janvier 2025, Donald Trump entame son second mandat en décrétant un « état d’urgence énergétique ». Derrière cette déclaration spectaculaire se dessine une stratégie à deux tenants. D’un côté, il s’agit de rompre avec toute velléité de lutte contre le changement climatique en relançant massivement la production fossile, en doublant les exportations de gaz naturel liquéfié et en démantelant les politiques de soutien aux véhicules électriques. Mais de l’autre, l’administration républicaine entend assurer l’accès des États-Unis aux minéraux critiques dont dépend la transition vers un monde décarboné : ainsi, avant même que ne s’enveniment les tensions commerciales avec Beijing, Donald Trump avait-il fait connaître son ambition de ravir à la Chine son statut de premier producteur mondial de lithium. Faut-il parler de rupture avec les orientations de l’administration Biden ? Sans doute celle-ci a-t-elle su imposer l’image d’un virage industriel en investissant massivement dans les infrastructures renouvelables. Mais elle n’en a pas moins délivré un nombre record de permis d’extraction de pétrole et de gaz. Si le nouveau président se distingue de son prédécesseur, c’est avant tout en ôtant tout alibi vert au projet de s’emparer des sources d’énergies d’avenir sans renoncer à exploiter celles du passé.
Pour saisir les évolutions et les enjeux des stratégies énergétiques menées par les États, mais aussi par les entreprises et les mouvements sociaux, Thea Riofrancos travaille à l’articulation de la géoéconomie, des frontières extractives et des politiques climatiques. Politiste, militante écologiste et chercheuse au Climate and Community Project, elle suit depuis plus d’une décennie les mutations de l’extractivisme. Son livre à paraître, Extraction: The Frontiers of Green Capitalism, prolonge une enquête entamée en Amérique latine. Elle y étudie la relocalisation des industries extractives dans le Nord global sous l’effet de l’impératif de décarbonation. Selon elle, l’extractivisme ne se réduit pas à une opération localisée d’extraction de ressources : il constitue un régime politico-économique durable, historiquement structuré par l’échange inégal entre centres industriels et périphéries exportatrices, ainsi que par l’externalisation des coûts sociaux et environnementaux. Le concept d’extractivisme vert désigne dès lors moins une discontinuité qu’une mutation : pour Thea Riofrancos, il englobe à la fois l’intensification minière induite par les technologies et infrastructures bas carbone, et les stratégies de verdissement mises en œuvre par les industries extractives, indépendamment de l’usage final des ressources.
Ce que la politiste appelle le nexus sécurité-soutenabilité désigne cette fusion croissante entre objectifs climatiques, impératifs industriels et rationalité géopolitique. Il correspond à une nouvelle phase du capitalisme vert où l’échec des mécanismes de marché incite les pouvoirs publics à soutenir l’investissement privé – notamment par la voie de garanties, de subventions et d’incitations aux relocalisations. Thea Riofrancos se donne alors pour tâche d’inventorier les nombreuses tensions qui émergent dans cette nouvelle géographie de la décarbonation : rivalités interétatiques, querelles de priorités entre la sécurité nationale et les exigences du capital financier, conflits d’intérêts entre les fractions fossiles et renouvelables du capital industriel. Elle s’emploie également à éclairer la configuration géoéconomique actuelle à la lumière de quatre inflexions historiques majeures : la crise énergétique des années 1970, marquée par l’essor simultané du nationalisme des ressources dans le Sud et du discours de sécurité énergétique dans le Nord ; le boom des matières premières et l’ascension de la Chine à la suite de la crise de 2008 ; le virage protectionniste amorcé par la première présidence de Donald Trump en 2016 ; et, enfin, l’industrialisme vert de l’administration Biden.
Nous avons demandé à la politiste de revenir sur son travail au long cours mais nous avons aussi interrogé l’activiste sur les stratégies de résistance à l’extractivisme, brun ou vert, et notamment sur le rapport More Mobility, Less Mining, publié en 2023, dont elle est l’une des rédactrices.
Notre entretien a eu lieu à New York, le 14 mars 2025.