Je célèbre l’armoise,
le chêne de broussailles, le pin gris, le genièvre,
les méprisés, les réprouvés,
acceptés de mauvais gré
car rien d’autre ne pousse ici.
Ils sont ceux qui ne lâchent rien,
ils n’ornent pas nos jardins,
ne seront ni meubles ni repas,
combustibles avec parcimonie
car rien d’autre ne pousse ici.
À eux l’austère hardiesse
de pousser sur la serpentine et le gravier,
nulle eau que celle qu’on vole
à celui d’à côté si bien
que rien d’autre ne pousse ici.
Je célèbre la tige noueuse et cassante,
l’âcre feuillage gris-vert et l’aiguille écailleuse
le cône empesé, la baie amère, le bourgeon minuscule,
et l’odeur grandiose et rance de l’urine de chat
puisque que rien d’autre ne pousse ici.
Citoyens d’une terre rude, toxique même,
asociaux, indociles et opiniâtres ;
ils ne partagent pas mais habillent malgré tout
de vie un sol nu et pauvre,
en poussant où rien d’autre ne pousse, ici.
Ursula K. Le Guin dans Derniers poèmes ("En fin de journée (2010-2014)"), traduit par Aurélie Thiria-Meulemans