Une ligne de chemin de fer ne meurt pas d’un coup, elle agonise doucement. Quand les travaux nécessaires tardent, SNCF Réseau, filiale de la SNCF, gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, « impose des limitations de vitesse pour garantir la sécurité des voyageurs ». On ne roule pas à plein régime sur une voie trop vieille. On finit par rouler au pas, puis par ne plus rouler du tout. Selon les données obtenues par Le Monde auprès de SNCF Réseau, sur les 7 600 kilomètres de petites lignes – on parle de lignes de desserte fine du territoire –, 1 200 km sont concernés par une limitation de vitesse et 500 km « font l’objet d’une suspension des circulations, dans l’attente de projets de régénération » qui ne seront peut-être jamais engagés, faut de financement.
Faut-il continuer à maintenir des voies peu utilisées ? Ou faut-il investir pour qu’elles le soient davantage ? Le débat fait rage depuis des décennies et suscite des « réactions passionnelles parfois inversement proportionnelles à leur fréquentation », remarque François Philizot, ancien préfet et auteur d’un rapport en 2020 qui a jeté les bases d’une nouvelle organisation du financement de ces lignes, victimes d’un sous-investissement chronique.
Peu avant, en 2018, le rapport de Jean-Cyril Spinetta sur l’« avenir du transport ferroviaire » avait prescrit un traitement de choc : une fermeture pure et simple du « réseau obsolète constitué par les lignes dont la rénovation n’est pas justifiée d’un point de vue socio-économique ».« On ne décide pas la fermeture de 9 000 km de lignes depuis Paris sur des critères administratifs et comptables. Dans bien des territoires, le rail est au cœur de la stratégie des régions pour le développement des mobilités », avait rétorqué le premier ministre d’alors, Edouard Philippe.
« On a stabilisé le paysage »
C’est finalement une voie médiane qui a été choisie, celle esquissée par le rapport Philizot. Notant à son tour « un retard d’investissement clairement imputable à la politique ferroviaire des années 1980-2005 », il déplorait également que « les régions portent la majeure partie du coût de régénération de ces lignes ».Le rapport Philizot préconisait de hiérarchiser les 9 137 km de lignes de desserte fine alors comptabilisés, et d’en diversifier le financement selon leur fréquentation, leur importance et leur potentiel. La majorité d’entre elles sont demeurées dans l’escarcelle des régions, chargées de les rénover dans le cadre des contrats de plans Etat-régions, destinés, entre autres, à s’entendre sur les grands investissements.
Une partie a intégré le réseau structurant : depuis 2024, 1 475 km d’entre elles sont financés intégralement par SNCF Réseau, comme le sont toutes les grandes lignes. Enfin, 933 km de lignes à faible trafic ou d’« intérêt local » sont désormais à la charge intégrale des régions, qui peuvent même en récupérer la gestion, voire la propriété.
Les petites lignes sont-elles sauvées pour autant ? « On a stabilisé le paysage, mais le réseau reste fragile », analyse M. Philizot. « Les rapports Philizot et Spinetta ont permis une prise de conscience, puis une amélioration de l’état des petites lignes. La situation a été clarifiée, il y a eu un sursaut financier avec le plan de relance post-Covid, puis à la faveur d’avenants dans les contrats de plans Etat-régions » , résume Patricia Pérennes, économiste des transports et consultante au sein de la société de conseil Trans-Missions, qui note qu’aucune ligne n’a été fermée depuis. Mais la baisse des dotations de l’Etat aux régions et la crise des finances publiques risquent fort de menacer cette courte embellie.