Un rapport de la police scientifique que Mediapart a consulté apporte de nouveaux éléments. S’il accable certains des policiers qui, en juillet 2023 à Marseille, ont fracassé le crâne d’Hedi, il ne mentionne pas la présence de la commandante. Elle était pourtant sur les lieux.
Dans l’affaire Hedi, les images de vidéosurveillance n’ont pas fini d’éclairer sur l’extrême violence des quatre policiers qui ont tiré au lanceur de balles de défense (LBD) et se sont acharnés sur le jeune homme, alors âgé de 21 ans, dans la nuit du 1er au 2 juillet 2023, à Marseille, en marge des révoltes liées à la mort de Nahel. Hedi, dont le crâne a été fracassé et le cerveau grièvement touché, avait dû subir une amputation partielle et temporaire du crâne. Il a depuis pu être réopéré.
À la demande du juge, les experts de la police scientifique ont retravaillé sur les enregistrements des caméras de surveillance de la ville, sur celles d’un lieu de culte et sur celles de la vidéo d’un témoin. Ils ont eu à vérifier le rôle de chacun des policiers dans les violences, à préciser la scène qui précède le tir de LBD et celle du passage à tabac du jeune homme et, enfin, ont dû apporter « tout élément susceptible d’être utile à la manifestation de la vérité ».
Dans leurs conclusions, datées de novembre 2023 et que Mediapart a pu consulter, les techniciens du laboratoire de criminalistique numérique confirment la chronologie des faits et la mise en cause des quatre policiers, précédemment établie par les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
Ils apportent néanmoins des précisions sur les coups portés et leurs auteurs, en particulier le gardien de la paix David B., déjà visé par d’autres affaires de violences. Selon les experts, ce policier est celui qui porte la majorité des coups sur Hedi avec un « objet non identifié », vraisemblablement une matraque télescopique.
Sur les sept policiers de cet équipage de la brigade anticriminalité (BAC) impliqués dans les faits, quatre ont été mis en examen, en juillet, pour violences volontaires aggravées par trois circonstances (« avec arme », « en réunion », « par personne dépositaire de l’autorité publique ») ayant entraîné plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT). Trois d’entre eux sont encore suspendus. Un cinquième, Mario S., n’a pas participé aux violences.
##David B., principal auteur des coups portés sur Hedi
Comme nous l’avions révélé à partir des images des caméras de vidéosurveillance, le 2 juillet à 1 h 56 dans le centre-ville de Marseille, alors qu’il n’avait commis aucune infraction et ne présentait aucun danger, Hedi a été grièvement blessé par une balle de LBD, tirée par le policier Christophe I. L’analyse des images par les techniciens de la police scientifique confirme que lorsque le « porteur de LBD stabilise ses appuis », il « est vraisemblable que ce soit à cet instant que le tir de LBD ait été effectué », soit à 1 h 56 et 14 secondes.
À terre, Hedi est relevé par le major Boris P. qui le conduit à l’abri des regards, dans une petite rue où il retrouve deux autres de ses collègues, David B. et Gilles A. Alors qu’Hedi semble tituber et met « une main à hauteur de sa tête », le policier David B. lui donne un premier « coup de pied dans les membres inférieurs et le fait chuter ». Au sol, « deux coups de pied en direction des fesses ou des cuisses sont assenés » toujours par David B. et « sont bien moins puissants que celui qui a déséquilibré la victime ».
À cet instant, le policier Boris P. « se penche » vers Hedi. Les experts expliquent que « ses actions et attitudes envers la victime » sont impossibles à discerner, alors que, dans son rapport, l’IGPN a bien identifié « un coup de poing avec son bras droit » mais dont la trajectoire ne permet pas de savoir s’il a touché sa cible, un poteau cachant la suite du coup.
Certains coups éventuellement portés n’ont donc pu être étayés par les techniciens, du fait « des conditions de prises de vue ». Mais d’autres le sont. Comme le « coup (audible) » qu’assène David sur « le côté gauche de la tête » d’Hedi avec « un objet longiforme non identifié observé dans le prolongement de la main gauche qui porte le coup », probablement une matraque télescopique.
Lorsque Hedi se relève, à 1 h 56 et 50 secondes, c’est au tour du policier Gilles A., porteur de gants coqués, de lui donner un « coup de pied (audible) au niveau de la cuisse gauche ». À 1 h 56 et 55 secondes, Hedi s’éloigne et n’est plus visible des caméras. Du tir de LBD au dernier coup de pied, une minute seulement s’est écoulée. En une minute, Hedi a eu le crâne ouvert, le cerveau grièvement touché et la mâchoire fracturée. Un déferlement d’une extrême violence.
Comme nous l’avions révélé, David B. est déjà visé par des enquêtes pour violences. Il a été inquiété dans l’affaire d’Angelina (précédemment connue sous le pseudonyme de Maria), en 2018, rouée de coups de pied et de poing par des policiers qui lui ont fracturé le crâne et grièvement touché le cerveau. Comme Hedi, elle a frôlé la mort et, comme elle l’a confié à Mediapart, elle garde encore aujourd’hui, plus de cinq ans après les faits, de lourdes séquelles.
L’enquête avait ciblé quelques policiers, parmi lesquels David B. qui, en détachement militaire au Togo, n’avait pu être auditionné et perquisitionné que plus d’un an après les faits. À l’époque, la hiérarchie de David B. n’avait déclenché aucune enquête administrative. Après avoir été classée sans suite, une instruction a été rouverte en juin 2023.
Quelques mois avant de tabasser Hedi, dans la nuit du 10 avril 2023, David B. a frappé un autre jeune homme, Thomas*, 20 ans. Là encore, sans raison. Pour ces faits, ayant entraîné cinq jours d’ITT, le policier doit être jugé en mai.
Dans l’affaire Hedi, plusieurs expertises sont encore attendues. En particulier celles des médecins qui doivent déterminer parmi les différentes violences, les coups et le tir de LBD, lesquelles sont à l’origine des multiples fractures et plus précisément celles du crâne et de la mâchoire. Les graves atteintes au cerveau d’Hedi ont-elles été causées par le tir de LBD ou par les coups de poing ?
##La commandante Virginie G. présente près de ses hommes
Reste enfin à déterminer le rôle de la commandante Virginie G. Dans leurs conclusions écrites, les techniciens ne mentionnent pas sa présence au moment des faits. Elle est pourtant bien à proximité de ses hommes, comme en attestent les images (la commandante est entourée de rouge sur les images ci-dessous lorsque Hedi est tabassé).
Le soir des faits, Virginie G. était la cheffe de toutes les BAC. Elle avait sous son commandement direct l’équipage composé de six hommes avec lequel elle patrouillait. Sur les vidéos, elle et ses hommes sont clairement identifiés. Très facilement traçable, avec sa queue-de-cheval tressée et son sac à dos, la commandante est également reconnue sur plusieurs clichés par certains de ses subordonnés.
Malgré cela, elle déclare aux enquêteurs de l’IGPN : « Quand j’observe ces clichés, je ne me reconnais pas du tout. » Tout au long de son audition, comme nous l’avions relaté, la commandante ne sait rien, n’a rien vu et rien entendu. Alors qu’un témoin déclare l’avoir vue à côté du policier Christophe I. lorsqu’il tire au LBD sur Hedi, elle affirme ne « pas avoir vu cette scène ». Selon elle, lorsque Hedi a été touché et tabassé, elle serait rentrée, avec un des policiers de son unité, Gilles A., dans un magasin dont la porte avait été fracturée. Or, Gilles A. dément. Et pour cause, il participe aux violences et c’est lui qui porte à Hedi le dernier coup de pied.
Confrontée à ses contradictions par l’IGPN, la commandante déclare : « Je ne suis pas une menteuse. » Aurait-elle alors mauvaise mémoire ? Les enregistrements de vidéosurveillance attestent qu’elle n’est pas loin de Christophe I. lorsqu’il tire au LBD, vers 1 h 56 et 14 secondes. Les experts, curieusement, ne signalent pas la présence de la commandante à quelques mètres des policiers lorsqu’ils tabassent Hedi.
Une fois qu’il a tiré au LBD, Christophe I. et un autre agent traversent et rejoignent leurs collègues qui frappent le jeune homme. Les experts du laboratoire scientifique précisent que, lorsqu’il traverse la rue, Christophe I. est accompagné de Mario S. et non de la commandante, comme l’avait mentionné l’IGPN. Or, il suffit de faire défiler la vidéo, moins de dix secondes, pour constater que leur cheffe Virginie G. les suit également, traverse à son tour et, à moins de cinq mètres des policiers cogneurs, elle n’intervient pas pour faire cesser les violences.
Sur une autre vidéo, quelques minutes après les violences commises sur Hedi, deux des policiers sont identifiés par les enquêteurs de l’IGPN. L’un d’entre eux plaque au sol un homme muni d’un objet lumineux et lui assène plusieurs coups. Sur les images, on voit encore la commandante Virginie G. à proximité, et là encore elle laisse faire.
À ce jour, Virginie G. a été entendue sous le statut de témoin assisté. Sa hiérarchie a néanmoins décidé de la muter. Écartée du terrain, elle n’est plus à la BAC mais affectée à des missions administratives, côté CRS.